(...) Possédez-vous un sixième sens qui vous manque ? Ne mentez pas, et dites ce que vous pensez. Ce n’est pas une interrogation que je vous pose ; car, depuis que je fréquente en observateur la sublimité de vos intelligences grandioses, je sais à quoi m’en tenir. Soyez bénis par ma main gauche, soyez sanctifiés par ma main droite, anges protégés par mon amour universel. Je baise votre visage, je baise votre poitrine, je baise, avec mes lèvres suaves, les diverses parties de votre corps harmonieux et parfumé. Il a fallu que j'entr'ouvrisse vos jambes pour vous connaître et que ma bouche se suspendît aux insignes de votre pudeur. (...) En attendant, que celui qui brûle de l'ardeur de partager mon lit vienne me trouver ; mais je mets une condition vigoureuse à mon hospitalité : il faut qu'il n'ait pas plus de quinze ans. Qu'il ne croie pas de son côté que j'en ai trente ; Qu'est-ce que cela y fait ? L'âge ne diminue pas l'intensité des sentiments, loin de là ; S’il n’a pas dépassé la puberté, qu’il s’approche. Serre moi contre toi, et ne crains pas de me faire du mal.
Mais n’oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties, avec de l’eau chaude, car sinon des chancres vénériens pousseraient infailliblement sur les commissures fendues de mes lèvres inassouvies. Oh ! si au lieu d'être un enfer, l'univers n'avait été qu'un céleste anus immense… Oui, j'aurais enfoncé ma verge à travers son sphyncter sanglant, fracassant, par mes mouvements impétueux, les propres parois de son bassin ! Le malheur n'aurait pas alors soufflé, sur mes yeux aveuglés, des dunes entières de sable mouvant ; j'aurai découvert l'endroit souterrain où gît la vérité endormie, et les fleuves de mon sperme visqueux auraient trouvé de la sorte un océan où se précipiter ! (...) Moi, j’ai toujours éprouvé un caprice infâme pour la pâle jeunesse des collèges et les enfants étiolés des manufactures ! Rétrécissons progressivement les liens de nos muscles. Davantage. Je sens qu’il est inutile d’insister. Moi, je n'aime pas les femmes ! Ni même les hermaphrodites ! Il me faut des êtres qui me ressemblent, sur le front desquels la noblesse humaine soit marquée en caractères plus tranchés et ineffaçables ! Une salive saumâtre coule de ma bouche, je ne sais pourquoi. Qui veut me la sucer, afin que j'en sois débarrasser ? Elle monte… elle monte toujours ! Je sais ce que c’est ! Ayez la bonté de regarder ma bouche ! La justice humaine ne m'a pas encore surpris en flagrant délit, malgré l'incontestable habilité de ses agents. J'ai même assassiné (il n'y a pas longtemps !) un pédéraste qui ne se prêtait pas suffisamment à ma passion ; j'ai jeté son cadavre dans un puits abandonné, et l'on pas de preuves décisives contre moi. Croyez-vous que je veuille en faire autant envers vous ? Vous avez raison : méfiez-vous de moi, surtout si vous êtes beau. Mes parties offrent éternellement le spectacle lugubre de la turgescence : nul ne peut soutenir (et combien ne s’en ont-ils pas approchés !) qu’il a vu à l’état de tranquillité normale. Mais, quelle puissance possèdent-elles donc, mes gouttes séminales, pour attirer vers elle tout ce qui respire. Malheureusement que des siècles ne faudra-t-il pas encore, avant que la race humaine périsse entièrement par mon piège perfide ! C’est ainsi qu’un esprit habile, et qui ne se vante pas, emploie, pour atteindre à ses fins, les moyens mêmes qui paraîtraient d’abord y porter un invincible obstacle. Toujours mon intelligence s’élève vers cette imposante question… Le théâtre du combat n’est plus qu’un vaste champ de carnage, quand la nuit révèle sa présence et que la lune silencieuse apparaît entre les déchirures des nuages.
Les Chants de Maldoror, Chant V, Isidore Ducasse